**********************************************************************************************************************************
Le salon était tout petit, tout enveloppé de tentures épaisses, et discrètement odorant. Dans une cheminée large, un grand feu flambait tandis qu une seule lampe posée sur le coin de la cheminée versait une lumière molle, ombrée par un abat jour d anciennes dentelles, sur les deux personnes qui causaient.
Elle, la maitresse de maison, une vieille à cheveux blancs, mais une de ces vieilles adorables dont la peau sans rides est lisse comme un fin papier et parfumée, toute imprégnée de parfums, pénétrée jusqu à la chaire vive par les essences fines dont elle se baigne, depuis si longtemps, l épiderme: une vieille qui sent, quand on lui baise la main, l odeur légère qui vous saute à l odorat lorsqu on ouvre une boite de poudre d iris florentine.
Lui était un ami d autrefois, resté garcon, un ami de toutes les semaines, un compagnon de voyages dans l existence. Rien de plus d ailleurs.
Ils avaient cessé de causer depuis une minute environs , et tous deux regardaient le feu, révant à n importe quoi, en l un de ces silences amis des gens qui n ont pas besoin de parler toujours pour se plaire l un prés de l autre.
Et soudain une grosse bûche, une souche hérissée de racines enflammées , croula. Elle bondit par dessus les chenets,et, lancée dans le salon roula sur le tapis en jetant des éclats de feu autour d elle.
La vieille femme, avec un petit cri, se dressa comme pour fuir, tandis que lui, à coups de bottes, rejetait dans la cheminée l énorme charbon et ratissait de sa semelle toute les éclaboussures ardentes répandues autour.
Quand le désastre fut réparé, une forte odeur de roussi se répandit; et l homme se rasseyant en face de son amie, la regarda en souriant: " Et voilà, dit il, en montrant la bûche replacée dans l âtre, voilà pourquoi je ne me suis pas marié."
Elle le considéra, toute étonnée, avec cet oeil curieux, des femmes qui veulent savoir, cet oeil des femmes qui ne sont plus toutes jeunes, ou la curiosité est réfléchie, compliquée, souvent malicieuse; et elle demanda: "Comment ca?"
Il reprit: "Oh, c est toute une histoire, une assez triste et vilaine histoire."
"Mes anciens camarades se sont souvent étonnés du froid survenu tout à coup entre un de mes meilleurs amis , qui s appelait, de son petit nom,Julien, et moi. Ils ne comprenaient pas comment deux intimes, deux inséparables comme nous étions, avaient pu tout à coup devenir presque étranger l un à l autre: Or, voici le secret de notre éloignement.
Lui et moi, nous habitions ensemble ,autrefois; Nous ne nous quittions jamais; et l amitié qui nous liait semblait si forte que rien n aurait pu la briser.
Un soir, en rentrant , il m annonca son mariage.
" Je recu un coup dans la poitrine, comme s il m avait volé ou trahi. Quand un ami se marie, c est fini, bien fini. L affection jalouse d une femme, cette affection ombrageuse, inquiète et charnelle, ne tolère point l attachement vigoureux et franc, cet attachement d esprit, de coeur et de confiance qui existe entre deux hommes.
"Voyez vous Madame, quelque soit l amour qui les soude l un à l autre, l homme et la femme sont toujours étrangers d âme, d intelligence; ils restent deux belligérants; ils sont d une race différente ; il faut qu Ils aient toujours un dompteur et un dompté, un maitre et un esclave; tanôt l un, tantôt l autre; ils ne sont jamais deux égaux. Ils s étreignent les mains, leur main frissonnante d ardeur; Ils ne se les serrent jamais d une large et forte pression loyale, de cette pression qui semble ouvrir les coeurs, les mettre à nu dans un élan de sincère et forte virile affection. Les sages, au lieu de se marier et de procréer, comme consolation pour les vieux jours, des enfants qui les abandonneront, devraient chercher un bon et solide ami, et vieillir avec lui dans cette communion de pensée qui ne peut exister qu entre deux hommes.
" Enfin, mon ami Julien se maria. Elle était jolie, sa femme, charmante, une petite blonde frisottée, vive, potelée, qui semblait l adorer.
" D abord j allais peu dans la maison, craignant de gèner leur tendresse, me tenant de trop entre eux. Ils semblaient pourtant m attirer, m appeler sans cesse, et m aimer.
" Peu à peu, je me laissait séduire par le charme doux de cette vie commune; et je dinais souvent chez eux; et souvent, rentré chez moi la nuit, je songeait à faire comme lui, à prendre femme, trouvant bien triste à présent ma maison vide.
"Eux, parraissaient se chérir, ne se quittaient point. Or, un soir, Julien m écrivit de venir diner. " Mon bon, dit il, il va faloir que je m absente, en sortant de table, pour une affaire. Je ne serai pas de retour avant onze heures; mais à onze heures précises, je rentrerai. J ai compté sur toi pour tenir compagnie à Berthe."
" La jeune femme sourit." C est moi d aileurs, qui ai eu l idée de vous envoyer chercher" reprit elle.
" Je lui serrai la main: " Vous êtes gentille comme tout". Et je sentis sur mes doigts une amicale et longue pression. Je n y pris pas garde; on se mit à table; et, dés huit heures, Julien nous quittait.
" Aussitôt qu il fut partit, une sorte de géne singuliére naquit brusquement entre sa femme et moi. Nous ne nous étions encore jamais trouvé seul, et, malgré notre intimité grandissant chaque jour, le tête à tête nous placait dans une nouvelle situation. Je parlais d abord de choses vagues, de ces choses insignifiantes dont on emplit les silences embarrassants. Elle ne répondit rien et restait en face de moi, de l autre coté de la cheminée, la téte baissée, le regard indécis , un pied tendu vers la flamme, comme perdue en une difficile méditation. Quand je fus à sec d idées banales, je me tus. C est étonnant comme il est difficile parfois de trouver des choses à dire. Et puis, je sentais du nouveau dans l air, je sentais de l invisible , un je ne sais quoi impossible à exprimer, cet avertissement mystérieux qui vous prévient des intentions secrétes, bonnes ou mauvaise, d une personne à votre égard.
"Ce pénible silence dura quelque temps. Puis, Berthe me dit:" Mettez donc une bûche au feu, mon ami, vous voyez bien qu il va s éteindre". J ouvris le coffre à bois, placé comme le votre, et je pris une bûche, la plus grosse bûche, que je placais en pyramide sur les autres morceaux de bois aux trois quarts consumés.
" Et le silence recommenca.
" Au bout de quelques minutes, la bûche flambait de telle facon qu elle nous grillait la figure. La jeune femme releva sur moi ses yeux, des yeux qui me parurent étranges. " Il fait trop chaud, maintenant dit elle; alors donc Lä bas sur le canapé."
"Et nous voilà partit sur le canapé.
Puis tout à coup, me regardant bien en face:
" Qu est ce que vous feriez si une femme vous disait qu elle vous aime?"
Je répondit fort interloqué: " Ma foi, le cas n est pas prévu, et puis ca dépendrait de la femme."
Alors, elle se mit à rire, d un rire sec, nerveux, frémissant, un de ces rires faux qui semblent devoir casser les verres fins, elle ajouta
" Les hommes ne sont jamais audacieux ni malins," elle se tut puis reprit:
" Avez vous déjà été amoureux , Monsieur Paul?
Je l avouais, oui, j ai déjà été amoureux!
" Racontez moi ca ", me dit elle.
Je lui racontais une histoire quelquonque. Elle m écoutait attentivement, avec des marques fréquentes d improbation et de mépris; et soudain:
" Non, vous n y entendez rien. Pour que l amour fut bon, il faudrait il me semble, qu il bouleversât le coeur, tordit les nerfs et ravageât la tète, il faut qu il fut comment dirais je? -dangereux, terrible même, presque criminel, presque sacrilège, qu il fut une sorte de trahison; je veux dire qu il a besoin de rompre des obstacles sacrés, des lois, des liens fraternels; quand l amour est tranquille, facile, sans périls, légal, est ce bien de l amour?"
"Je ne savais plus quoi répondre, et je jetais en moi même cette exclamation philosophique: O cervelle féminine, te voilà bien!
" Elle avait pris, en parlant, un petit air indifférent , sainte nitouche; et, appuyée sur les coussins, elle s était allongée couchée, la tête contre mon épaule, la robe un peu relevée, laissant voire un bas de soie rouge que les éclats du foyer enflammaient par instant.
Au bout d une minute: " je vous fais peur" dit elle. Je protestais. Elle s appuya tout à fait contre ma poitrine et , sans me regarder. " Si je vous disais, moi, que je vous aime, que feriez vous? Et avant que j eusse pu trouver ma réponse, ses bras avaient pris mon cou, avaient attiré brusquement ma tête et ses lèvres joignaient les miennes.
" Ah ma chère amie, je vous réponds que je ne m amusais pas! Quoi ! tromper Julien, devenir l amant de cette petite! Folie perverse et rusée, effroyablement sensuelle sans doute, à qui son mari déjà ne suffisait plus!
Trahir sans cesse, tromper toujours, jouer l amour pour le seul attrait d un fruit défendu, du danger bravé, de l amitié trahie.
Non, cela ne me parlait guére. Mais que faire? Imiter Joseph, role fort sot et, de plus fort difficile, car elle était affolante en sa perfidie, cette fille, et enflammée d audace, et palpitante et acharnée.
Oh, que celui qui n a jamais senti sur sa bouche, le baiser profond d une femme préte à se donner, me jette la première pierre.
.....Enfin, une minute de plus.... Vous comprenez n est ce pas? Une minute de plus et....j étais... non, elle était... pardon, c est lui qu il l était! ou plutot qui l aurait qui l aurait été, quand voilà qu un grand bruit terrible nous fit bondir.
La bûche, oui, la bûche, Madame, s élancait dans le salon, renversant la pelle, le garde feu, roulant comme un ouragan de flamme, incendiant le tapis et se gitant sur le fauteuil qu elle allait infailliblement flamber.
Je me précipitais comme un fou, et pendant que je repoussais dans la cheminée le tison sauveur, la porte brusquement s ouvrit! Julien tout joyeux, rentrait. Il s écria: " je suis libre, l affaire est finie deux heures plus tôt!"
Oui, mon amie, sans la bûche, j étais pincé en flagrant délit. Et vous apercevez d ici les conséquences!
Or, je fis en sorte de n être plus repris en situation pareille, jamais, jamais. Puis je m apercu que Julien me battait froid, comme on dit. Sa femme me sapait notre amité; et peu à peu il m éloigna de chez lui; nous avons cessé de nous voir.
" je ne me suis point marié. Cela ne doit plus vous étonner.